L'exploration de astéroïdes représente un tournant dans la manière dont l’homme va concevoir l’espace et son usage. Ceux-ci représentent un témoignage direct des éléments constitutifs fondamentaux de la formation planétaire, d'une valeur inestimable d'un point de vue scientifique, mais aussi d'un point de vue économique, car ils extraient de l'or, du fer, du diamant, du charbon et des terres rares. De plus, du point de vue de l’expansion spatiale, la recherche d’eau sur les astéroïdes revêt une importance particulière, car elle permet la subsistance et réduit les coûts d’établissement humain, ainsi que son utilisation comme carburant pour les lanceurs ou comme protection contre les radiations.
Cependant, avant de pouvoir atteindre une phase complète de planification et de lancement des missions, l'étude et l'évaluation des ressources actuelles sont cruciales.
A ce jour, le nombre limité d'astéroïdes ou de planètes naines visités, seulement 17, nécessite d'élargir cet échantillon pour étudier et évaluer de nouveaux candidats. Il est clair que cette phase initiale doit être réalisée grâce à l'utilisation de sondes, CubeSat, atterrisseur e vagabond contrôlé à distance. La présence humaine sur place ne garantirait en effet aucune valeur ajoutée, mais plutôt une croissance exponentielle des coûts et de la complexité des missions.
Near Earth Asteroids, les nouvelles mines de ressources stratégiques
En raison de limites technologiques évidentes, les premières missions cibleront les NEA, les astéroïdes les plus proches. Les trajectoires de ces corps peuvent effleurer l'orbite terrestre ou la croiser. Ils sont divisés en quatre sous-classes présentant des caractéristiques orbitales particulières :
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Atiras : orbite entièrement contenue dans l'orbite terrestre ;
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Aton : avec une orbite largement à l'intérieur de l'orbite terrestre ;
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Apollo : coupe l'orbite terrestre ;
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Amor : avec une orbite qui coupe l'orbite martienne et touche l'orbite terrestre.
La découverte de la présence de fer, de nickel et de cobalt sur deux astéroïdes de la NEA, 1986 DA et 2016 ED85, a suscité beaucoup d'intérêt, montrant une présence de métaux à la surface égale à 85 %.1. Cela signifie que la quantité de métaux présents est plus élevée que dans les gisements terrestres de nickel, de fer et de cobalt.
L’extraction des matériaux présents sur la NEA ne peut donc plus être considérée comme une simple opportunité. En effet, les ressources sur Terre sont en épuisement, alors que la demande, les coûts économiques et environnementaux ne cessent d’augmenter. Les impacts de ce scénario se répercutent sur la disponibilité des biens de consommation à haute valeur ajoutée, ce qui entraîne naissance de conflits national et mondial pour la course aux ressources. Enfin, les dernières projections publiées par l'ONU sur l'augmentation de la population mondiale prévoient qu'elle atteindra 10 milliards d'ici 2050. Ce fait impliquera une augmentation structurelle de la demande de 25 % par rapport à aujourd'hui. Pour toutes ces raisons, l’exploitation des matières premières des astéroïdes est aujourd’hui considérée comme une nécessité existentielle pour l'homme et sa croissance.
Exploration robotique sur deux astéroïdes : 433 Eros et 1221 Amor
Les astéroïdes ont été identifiés comme cibles de la mission de l'analyse : 433 Eros et 1221 Amor, appartenant à la sous-classe Amor.
433 Éros coïncide avec le premier astéroïde sur lequel un atterrissage a eu lieu, survenu le 12 février 2001 avec la sonde NEAR2, après environ un an passé à étudier les caractéristiques orbitales, morphologiques, topographiques et compositionnelles de l'astéroïde. Ci-dessous se trouvent les principaux paramètres physiques du corps, obtenus en combinant les observations du sol et celles de la mission NEAR :
L'albedo c'est un paramètre fondamental qui permet la classification spectrale des astéroïdes en fonction de leur spectre de réflectance, et renseigne sur leur taille. De plus, cela dépend profondément de la composition chimique de la surface du corps. Plus précisément, 433 Eros appartient à la classe spectrale S, il est donc dominé par des silicates contaminés par des métaux tels que le fer-nickel.
Au lieu de cela, il existe peu d’informations sur 1221 Amour. Alors que 433 Eros constitue le candidat idéal pour la phase initiale de la mission, disposant d'une bonne quantité de données avec lesquelles comparer les observations des instruments de la charge utile, l'absence de classification spectrale de 1221 Amor ouvre la voie à différents scénarios. En effet, il pourrait appartenir à la classe M, particulièrement riche en métaux et donc de valeur économique élevée. De plus, son orbite atteint une distance minimale de la Terre égale à 0.11 UA et il a été calculé qu'entre 2105 et 2153, il fera sept fois son approche la plus proche.3. Les deux caractéristiques ci-dessus, combinées à la taille estimée, d'un diamètre d'environ 1 km, en font un candidat intéressant pour l'exploitation minière.
Les fondements de l’étude de cas en question : perspectives et praticabilité
L'analyse vise à concevoir une mission de étude et évaluation des ressources minéraux présents sur 433 Eros et 1221 Amor, fournissant également des informations sur leur morphologie, leur topographie et la présence éventuelle d'un champ magnétique intrinsèque. Conçu comme une mission modulaire, il peut être adapté à de nombreux autres NEA et pourrait constituer, grâce à la polyvalence de CubeSat, point de départ de missions minières même au-delà de l'orbite martienne, dans la ceinture principale.
En particulier, le concept se concentre sur la sortie de deux flottes de CubeSat à proximité des deux cibles depuis une plateforme capable d'atteindre d'abord 433 Eros, de rester en vol coplanaire avec l'astéroïde pendant un certain temps, puis de repartir vers 1221 Amor.
Charge utile
Pour la détection des éléments chimiques et de leurs abondances relatives, un outil essentiel est le spectromètre à rayons gamma haute résolution
En observant le spectre du rayonnement émergent, on identifie la composition chimique et les abondances des éléments présents dans le milieu dans lequel il s'est propagé, sans avoir à se poser sur l'astéroïde ni à creuser la surface.
Un autre aspect intéressant est le champ magnétique des astéroïdes, qui fournirait des informations sur son évolution géologique et donc sur les abondances chimiques présentes sous la surface. L'un des magnétomètres vol éprouvé avec des dimensions compatibles avec le montage sur CubeSat est le DFGM4.
Les caractéristiques morphologiques et topographiques des astéroïdes sont également des informations cruciales pour obtenir une cartographie détaillée de l'astre, garantissant, entre autres, l'identification des meilleurs sites d'atterrissage ou installations d'instrumentation. L'instrument de référence, dans ce cas, coïncide avec un appareil photo optique panchromatique similaire à celui développé par la collaboration entre Argotec et ASI, il peut être attribué à un 6U CubeSat.
Enfin, le bus servant au transport des deux flottes de CubeSat pourrait également servir de site d'instrumentation scientifique. Étant en orbite coplanaire avec les deux cibles, la rotation des deux astéroïdes pourrait être exploitée pour effectuer des mesures morphologiques, altimétriques et de réflectance de leurs surfaces, grâce à un LiDAR spécialement conçu pour l'exploration des astéroïdes et des comètes. Parmi ceux-ci, l’un des plus intéressants est SALi.5, qui exploite la technique de modulation RZPN d'un laser à fibre optique.
L'inclusion d'un LiDAR fournirait des mesures complémentaires à celles réalisées avec la caméra panchromatique, notamment pour les mesures altimétriques. Nous pourrions ainsi parvenir à une compréhension complète de la morphologie et de la topologie des deux corps examinés, remplissant ainsi pleinement les objectifs de la mission.
Après avoir choisi une conception modulaire, on peut imaginer trois CubeSats fonctionnant pour chaque astéroïde. Ceux-ci abriteront respectivement le spectromètre gamma, le magnétomètre et la caméra panchromatique.
Pour proposer une estimation de la masse et des dimensions globales des six CubeSats, LiciaCube, un satellite de 6U et 14 kg, considérant tous les sous-systèmes, a été pris comme référence.
L’instrumentation scientifique occuperait donc un volume égal à 36U pour une masse totale de 84 kg. A cette valeur il faut ajouter 10 kg de LiDAR montés directement sur le bus.
Mais lesquels acteurs pourraient-ils jouer un rôle à court terme dans l’exploration et l’exploitation des astéroïdes ? À l'heure actuelle, nIl n'y a pas de législation reconnue unilatéralement et mondialement concernant l'exploitation des ressources minérales en dehors de l'atmosphère terrestre, mais depuis 2015, des lois nationales ont été promulguées sur le sujet. La CSLCA américaine6 Il reconnaît que les particuliers peuvent extraire et vendre des ressources spatiales dans un but lucratif. Elle a été suivie par la « Loi luxembourgeoise du 20 juillet 2017 relative à l’exploration et à l’utilisation des ressources spatiales ».7, selon lequel les ressources spatiales peuvent être utilisées à des fins commerciales par tous les citoyens en possession d'une autorisation.
Alors que dans le cas du Luxembourg le choix est dicté par la volonté de se tailler un rôle d'avant-garde du New Space, le choix des États-Unis pourrait avoir un tout autre poids. Cela s'inscrit en effet dans la stratégie mise en place depuis le retrait de la navette spatiale, qui a permis l'entrée d'une nouvelle génération de particuliers dans le secteur de l'espace et des lanceurs.
SpaceX d'Elon Musk a doté les États-Unis d'un levier économique important, capable de surclasser la concurrence sur le marché, mais aussi d'un avantage stratégique considérable sur la Chine et la Russie. Il est identifiable non seulement au sens le plus large accès à l'espace depuis son propre territoire, mais aussi dans des projets comme la constellation Starlink et le programme Pare-étoile. Le nombre de satellites utilisés, à très haute résilience et couverture mondiale, l'application directe dans le conflit russo-ukrainien et la mise à disposition des bases de données de la NASA pour évitement de collision di Starlink, ont alarmé les chancelleries adverses.
Des scénarios tout à fait similaires pourraient également se reproduire dans le contexte de logistique spatiale (Blue Origin), et dans celui de stations spatiales en orbite basse (Axiom Space, Sierra Space, Nanoracks, VoyagLockheed Martin et Northrop Grumman). De même, la stratégie de la NASA s'inscrit dans la continuité de celle de la dernière décennie, visant à développer une capacité généralisée d'accès, de logistique, de gestion et de protection effective des orbites basses. Les mêmes considérations peuvent également être reproduites dans le cas du retour sur la Lune. Il est donc difficile d’imaginer que l’exploitation des ressources minérales de la NEA puisse être abordée par les États-Unis d’une manière différente.
Bien évidemment, à ces considérations stratégiques, industrielles et politiques, il faut aussi ajouter l’impossibilité pour les États de devenir propriétaires des corps célestes.8. Dans l’hypothèse irréaliste où ce principe échouerait, il serait encore difficile d’imaginer une perspective de redistribution des richesses générées par l’exploitation de la NEA. Ce ne semble donc pas être un hasard si parmi les cinq principales sociétés minières spatiales au monde, trois sont américaines : Karman +, TransAstra et AstroForge.
Il est clair que la grande disponibilité des ressources, la capacité de les transformer et donc de créer du profit et du développement, est capable de attirer les clients, modifiant en tous points les structures géopolitiques existantes. Un exemple récent peut être identifié dans BRI, contre-mondialisation dirigée par la Chine, capable d'attirer, avec la signature de MoU, 147 pays grâce à un levier géoéconomique9.
L’exploitation des ressources minérales spatiales sera donc caractérisée par une forte concurrence. D’un côté, le bloc occidental, dans lequel les entreprises privées joueront le rôle de nouveaux pionniers du spatial, en concurrence les unes avec les autres. L'objectif premier sera de s'affranchir des approvisionnements chinois en terres rares10, auquel s'ajoutera l'accès à des gisements de nickel plus importants, dont 50 % sont situés en Australie, en Indonésie, en Afrique du Sud, en Russie et au Canada.11. Selon les dernières estimations, les plus grands complexes miniers australiens et canadiens ne resteront opérationnels que jusqu'en 2035, au plus tard en 2043.12, laissant la primauté de la production aux pays situés, au mieux, aux frontières de la sphère d’influence chinoise.
Dans le bloc occidental, un climat de affrontement féroce, en raison de l'ampleur des investissements, mais aussi des rendements. Cependant, compte tenu de la valeur stratégique et de la nouvelle orientation militaro-industrielle de l'appareil américain, les nouveaux pionniers seront fortement soutenus par les organismes publics, ce qui les incitera à former un système13. Malgré les rendements en jeu, pour justifier des investissements d'une telle ampleur et favoriser la consolidation du bloc, la présence d'un Digne adversaire, capable de porter atteinte à la primauté occidentale, notamment technologique. En fait, la tendance des démocraties est de réagir et non d’agir.14. Une approche qui s’est récemment répétée à l’égard de la Russie après l’invasion ukrainienne, un phénomène qui a en fait unifié et relancé l’OTAN.
La Chine, qui aspire à leader du Sud global, incarne parfaitement ce rôle. Outre la BRI (Belt and Road Initiative, ndlr) susmentionnée, la diplomatie chinoise a lancé diverses initiatives multilatérales à partir de 2021. Le premier est le GDI (Global Development Initiative, ndlr) qui vise à accélérer la réalisation des ODD (Sustainable development Goals, ndlr) d’ici 2030.15. À cela s’ajoutent le GSI (Global Security Initiative, ndlr) et le GCI (Global China Initiative, ndlr), respectivement points programmatiques de l’architecture de sécurité et pilier culturel du système dirigé par la Chine, naturellement alternatif au système occidental. ceux16. Aussi vagues soient-ils, ces documents politiques décrivent un nouvel ordre international, basée sur « la tolérance, la coexistence, les échanges et l'apprentissage mutuel »17. Ces initiatives, dans leur ensemble, sont orientées vers le Sud global qui s’est retrouvé à plusieurs reprises en antithèse avec le bloc occidental.
Dans ce contexte, la Chine peut jouer un rôle de premier plan, grâce aux projets de coopération et au levier économique susmentionnés. Pékin a notamment déployé beaucoup d'efforts dans le programme "Accès à l'espace pour tous" de l'UNOOSA, garantissant des opportunités de recherche scientifique sur Tiangong 1. Bien qu'ouvert à la collaboration scientifique, il est peu probable qu’elle opte pour la création d’un programme commun d’exploration spatiale avec d’autres puissances ou pays en développement, en effet il n'y a pas d'ouvertures particulières dans le développement des infrastructures nécessaires pour s'installer sur la Lune, exploiter la NEA ou atterrir sur Mars18. Plutôt, Il est probable que les bénéfices tirés du contrôle des astéroïdes serviront à financer les ambitions de mondialisation menées par la Chine., utilisant l’effet de levier géoéconomique pour saper la domination américaine.
►Lire la première partie"Le système solaire, ressource du futur (1/4) : science et technologie dans l'exploration spatiale"
►Lire la troisième partie"Le système solaire, ressource du futur (3/4) : exploration lunaire"
►Lire la quatrième partie "Le système solaire, ressource du futur (4/4) : considérations éthiques et psychologiques sur l'exploration spatiale humaine"
sources
1 JA Sanchez et coll. Caractérisation physique des astéroïdes géocroiseurs riches en métaux 6178 (1986da)
et 2016 éd85. Le Journal des sciences planétaires, 2(5):205, 2021.
2 AF Cheng et al, Near-
rendez-vous avec un astéroïde terrestre : aperçu de la mission. Journal de recherche géophysique : Planètes,
102(E10):23695–23708, 1997.
3 Base de données complète sur les astéroïdes et les comètes. https://www.spacereference.org/
astéroïde/1221-amor-1932-ea1
4 D. Miles et al, Un magnétomètre scientifique à fluxgate miniature et de faible puissance : un tremplin vers les missions de constellation cube-satellite. Journal de recherche géophysique : Physique spatiale, 121(12) :11-839, 2016.
5 X. Sun et al, Petit lidar toute portée pour les missions principales d'astéroïdes et de comètes. Capteurs, 21(9):3081, 2021
6 Loi sur la compétitivité des lancements commerciaux Sapace. https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/2262/text.
7 Loi du 20 juillet 2017 relative à l'exploration et à l'utilisation des ressources spatiales. https://space-agency.public.lu/en/agency/legal-framework/law_space_resou....
8 Bureau des affaires spatiales des Nations Unies - Traité sur l'espace extra-atmosphérique. https://www.unoosa.org/oosa/en/ourwork/spacelaw/treaties/outerspacetreat....
9 F. Casarotto. Que quelqu'un sauve les nouvelles routes de la soie. Domino, 3(1):120-128, 2023
10 ISPI - Terres rares. https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/terre-rare-loccidente-appront...
11 Institut du Nickel. https://nickelinstitute.org/en/about-nickel-and-its-applications/
12 Technologie minière. https://www.mining-technology.com/marketdata/ten-largest-nickels-mines/.
13 F. Maronta. Le bras privé de l’État dans un nouvel espace. Limes, 12(1):69-81, 2021.
14 C. Pélanda. Scénarios probables de guerre spatiale. Limes, 12(1):85-92, 2021.
15 Nikkei Asie – Initiative de développement mondial. https://asia.nikkei.com/Opinion/
L’initiative de développement mondial de la Chine n’est pas la nouvelle naissance de la BRI.
16 F. Casarotto. Pékin rêve de l'hémisphère sud. Domino, 6(1):21-27, 2023.
17 Le Conseil d'État de la République populaire de Chine. http://english.www.gov.cn/news/topnews/202303/15/content_WS6411d42ac6d0f...
18 N. Goswami. La Chine dans l'espace : ambitions et conflits possibles. Études stratégiques trimestrielles,
12(1):74–97, 2018
Photo : OpenAI / auteur