Entrepôts et bases russes en feu : comment les armes modernes en Ukraine ont changé les règles du jeu

(Pour David Rossi)
11/07/22

Regardez bien la carte et les photos en bas de l'article : la première montre ce qui s'est passé ces trois dernières semaines aux endroits indiqués sur la carte de l'Ukraine.

La contre-offensive des forces de Kiev n'a pas encore commencé mais il s'est déjà passé quelque chose qui a mis fin à la deuxième phase telle qu'on la voit depuis le début de la "grande contre-offensive" (voir l'article) dans la première quinzaine d'avril, ce qui a en fait changé les règles de la guerre telles que nous avions l'habitude de les voir depuis le 24 février.

Mais allons-y dans l'ordre...

Fin mars, après un mois de pression insuffisante sur le plus long front de guerre de l'histoire européenne, du nord de Kiev à l'île des Serpents dans l'oblast d'Odessa, le Kremlin a donné l'ordre de se retirer de l'oblast de Tchernihiv, Soumy et de Kiev elle-même, en pratique un territoire aussi grand que l'Italie du Nord (voir l'article).

Une simple image fixe comme celle-ci sur la photo ci-dessous nous fait comprendre ce qui s'est passé.

Qu'ont fait les dirigeants russes dans la région nord de l'Ukraine qui ont conduit à ces pertes ?

Ils ont permis aux défenseurs ukrainiens, de façon inattendue - pour les Russes - capables de résister comme des lions, d'anéantir forces spéciales, miliciens tchétchènes et chars en quantités absurdes. Hélicoptères et avions chargés de troupes destinées par le Kremlin à prendre Kiev mais restés inactifs, tandis que les pétroliers envoyés à l'avant-garde étaient mis en pièces, ils en disent long : il fallait tout repenser pour éviter l'échec politique et militaire.

Cela conduit à la prise d'Izium, la principale ville située sur le flanc oriental de l'oblast de Kharkiv, et le 12 avril au début de la soi-disant "grande offensive", dont le but était de prendre tout le Donbass.

Une fois de plus, les Ukrainiens surprennent Moscou en adoptant, pour ainsi dire, la démarche du général Koutouzov, vainqueur de Napoléon, plutôt que celle de Staline, d'abord ami puis victime d'Hitler : bref, ils préfèrent sauver l'armée au prix de perdre du terrain en maintenant ainsi la possibilité de sauver le pays, plutôt que d'être piqué en ne reculant pas d'un pas.

Les troupes de Kiev ont fait plusieurs pas en arrière, mais ont finalement forcé les forces russes à gagner quelques kilomètres dans l'oblast de Louhansk - la zone autour de Severodonetsk et Lysichansk mesure la moitié de la province de Lodi, tandis que l'ensemble de l'Ukraine a deux fois la superficie de ​​Italie - au prix d'énormes pertes humaines et matérielles.

Ils ont surtout beaucoup appris de l'épreuve de force mise en place par les Russes avec l'utilisation massive de l'artillerie : roquettes, bombes et missiles ont compensé les carences chroniques de Moscou en matière de qualité des véhicules et de logistique, ainsi qu'en matière d'entraînement et de moral du personnel. Mais ils ont également révélé le ventre mou de la puissance russe : l'artillerie a une soif boulimique de munitions et de carburant, sans laquelle elle doit tout simplement ralentir et s'arrêter. Et voici venir le changeur de jeu...

Le M142 HIMARS (Système de fusée d'artillerie à haute mobilité - photo précédente), des lance-roquettes multiples et légers développés à la fin des années 90 pour l'armée américaine, montés sur un châssis de camion standard M1140 de l'armée américaine.

Ce n'est pas à moi d'en parler et je ne le ferai pas : je me limiterai à dire qu'étant capables de frapper les dépôts et bases russes facilement, rapidement et en toute sécurité, les Ukrainiens ont fait en quelques semaines ce que vous voyez sur la photo à le début de l'article... ils ont, passez-moi le terme, vidé les entrepôts que les occupants russes avaient installés un peu partout dans le Donbass, venant frapper jour et nuit dans et autour de Donetsk.

Tout cela a provoqué un effondrement de la capacité d'artillerie russe : c'est ces jours-ci l'annonce par le gouverneur militaire de Luhansk Serhei Haidar que les Ukrainiens connaissent une baisse drastique de la puissance de feu russe sur le front oriental. Mise en garde: Je ne dis pas que l'artillerie russe est à l'arrêt mais que maintenant les commandants doivent tenir compte des escortes en première ligne, car presque rien ne peut venir de derrière.

Comme si cela ne suffisait pas, la même opération de "nettoyage d'entrepôt" se déroule également dans le sud de l'Ukraine, où les HIMARS et d'autres systèmes d'armes modernes aux mains des Ukrainiens (formés par milliers par les États-Unis et leurs alliés) ont fait des massacres dans les centres de commandement, a frappé des bases aériennes, endommagé ou interrompu des routes de liaison d'importance stratégique pour les occupants russes.

L'image ci-contre est de Kherson.

Désormais, de nouvelles roquettes capables de toucher jusqu'à environ 300 kilomètres de profondeur sont attendues, dont la cible ne sera plus seulement les casernes et les entrepôts, mais les liaisons routières entre le sud de l'Ukraine et la Crimée occupée par Moscou en 2014.

Dans une interview au Times, l'ancien commandant des forces de l'OTAN, le général américain Philip Breedlove, a défini le pont de Kertch, celui qui relie la Crimée à la Russie continentale une cible légitime. Le fait que Kiev ait agité les données techniques et les exercices des forces russes sur la gestion d'une attaque suggèrent que des deux côtés, on pense que Breedlove n'a anticipé que l'avenir proche. Nous considérons également qu'avec les systèmes de missiles anti-navires utilisés à Kiev et le pont rendu inutilisable, la Crimée serait sérieusement menacée…

Donc, nous voici dans la "troisième phase"

Dans quelques semaines, ce sera à nouveau à Moscou de donner les cartes pour réagir à ce bond en avant des Ukrainiens. Pour l'instant, la guerre nous a appris que ce que tout le monde appelait hier impossible et insensé, demain sera la nouvelle règle : c'était donc pour l'approvisionnement en armes antichars, pour ceux des chars et avions ex-soviétiques, pour l'expédition de armes et l'entraînement de soldats ukrainiens, pour la fourniture d'obusiers et de HIMARS, pour l'envoi de roquettes à moyenne portée, etc.

Quel sera le prochain tabou à devenir la norme ?

Photo : Web / Garde nationale de l'armée américaine