Alger et Paris : preuve d'un dégel entre tensions et intérêts stratégiques

(Pour Paolo Lolli)
22/04/25

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s'est rendu dimanche 6 avril à Alger en visite officielle pour rencontrer son homologue Ahmed Attaf et le président Abdelmadjid Tebboune. Au menu des discussions, comme l'a rapporté le ministre français à la presse présente, la réactivation des mécanismes de collaboration dans tous les secteurs entre Alger et Paris1, avec une attention particulière aux domaines sécuritaire et économique. Les relations entre l’Algérie et la France, malgré leur histoire tumultueuse et leur récente période de crise, semblent donc vouées à changer (à nouveau) de forme et prêtes à s’adapter à la suite de changements régionaux soudains.

Complice de l'exacerbation des tensions aux frontières sud entre l'Algérie et le Mali et de la rivalité croissante avec le Maroc, l'appareil sécuritaire algérien, substantiellement privé d'autres possibilités concrètes, de briser l'isolement diplomatico-militaire dans lequel le pays maghrébin risque d'être écrasé., ils misent sur l'ambition française d'inverser le processus en cours depuis au moins une décennie et qui voit la projection africaine de l'Hexagone en constant recul par rapport à cette zone autrefois propriété de l'Union. Francafrique. L'Algérie est par nature anti-française, si elle pouvait se passer de Paris elle n'hésiterait pas plus d'une seconde à tourner son regard ailleurs. L'accord récemment conclu ne doit donc pas tromper, il s'agit d'une pure tactique visant à satisfaire les besoins précaires de sécurité algériens et le prestige et l'endiguement de la Fédération de Russie sur le continent noir du côté français. En bref, un mariage de convenance, une étrange combinaison d’intérêts.

Au moment même où la délégation française discutait avec son homologue algérienne, dans une coïncidence temporelle qui laisse peu de place au doute, le Mali accusait directement l'Algérie d'avoir abattu un drone de reconnaissance dans son espace aérien et rappelait pour cette raison son ambassadeur d'Alger.2. L'initiative de Bamako a ensuite été soutenue par les autres pays constituant l'alliance du Sahel, le Burkina Faso et le Niger, dans une démarche diplomatique visant à isoler davantage Alger.3. L’Algérie et le Mali ont ensuite fermé leurs espaces aériens respectifs. La récente controverse découle de la destruction d’un drone de reconnaissance malien. Ce qui diffère, ce sont les versions des parties impliquées concernant le lieu de la fusillade. Alors que selon le ministère algérien de la Défense, l'avion sans pilote survolait la ville frontalière de Tin-Zaouatine4, envahissant ainsi l'espace aérien du pays d'Afrique du Nord sur 2,5 kilomètres, selon le gouvernement malien, cependant, l'épave du drone a été récupérée à près de 10 kilomètres à l'intérieur de ses frontières et a été impliquée dans une opération antiterroriste dans le nord du pays. Le Mali a en effet instrumentalisé l'incident pour accuser une fois de plus l'Algérie d'offrir un soutien aux rebelles touaregs présents sous ces latitudes et qui représentent, aux yeux du gouvernement central, un obstacle à la stabilisation du pays et de toute la zone sahélienne.5.

Bien que les affrontements impliquent directement l'armée malienne d'un côté et les milices touarègues de l'autre récemment réunies au sein d'une seule coalition appelée « Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l'Azawad »6, derrière ces acteurs se trouvent (principalement) la France et la Fédération de Russie. Si Paris soutient les ambitions indépendantistes de la coalition touarègue pour l’indépendance de l’Azawad afin de déstabiliser le Mali et de désillusionner les diverses populations autochtones quant à la capacité de la Russie à apporter sécurité et prospérité ; Moscou, par la main duCorps africain, l'ancien groupe Wagner, soutient les juntes militaires arrivées au pouvoir au Niger, au Mali et au Burkina Faso7, pour étendre la pénétration russe en Afrique sahélienne. Saper les capacités des juntes militaires arrivées au pouvoir dans ces trois pays entre 2020 et 2023 à faire face aux menaces internes, selon les souhaits parisiens, pourrait conduire à une régression de la position russe en faveur de l'Hexagone dans la zone.

Si la crise entre l’Algérie et les pays de l’Alliance du Sahel a constitué un stimulant au rapprochement avec la France, un rôle tout aussi important a été joué, malgré lui, par le Maroc. Le Royaume de Mohammed VI, par une offensive diplomatique, a réussi à pousser son voisin mal à l'aise, l'Algérie, contre le mur dans le dossier jusqu'ici non résolu du Sahara occidental. Rabat, en effet, en échange de l'adhésion aux accords d'Abraham8 et la normalisation conséquente des relations avec Israël, ont obtenu en décembre 2020 le soutien de la première administration Trump pour l'annexion du territoire contesté9. Un soutien qui n’a pas été remis en question par l’administration Biden et qui, au fil du temps, respectivement en 2022 et 2024, a trouvé le soutien de l’Espagne.10 et France11. C’est précisément le changement de position française sur la question l’été dernier, après des décennies de neutralité substantielle, qui a conduit à la réponse algérienne décisive et à la crise diplomatique temporaire entre les parties.12. En ces semaines où Alger et Paris tentent de résoudre leurs différends mutuels au nom d’une convergence temporaire d’intérêts, la position française sur le Plan marocain d’autonomie au Sahara occidental pourrait subir un ajustement nécessaire.

Un autre élément à prendre en considération, qui a peut-être fortement influencé les stratèges algériens à reconsidérer la nécessité de bonnes relations avec la France, concerne les approvisionnements de guerre. Afin de poursuivre sa politique d'autonomie et de non-alignement, l'Algérie a vu dès les premières années de son indépendance dans l'Union soviétique l'acteur capable de doter le nouveau pays nord-africain des moyens et des compétences nécessaires. Entre 1962 et 1989, l'Algérie a acheté du matériel de guerre à Moscou pour 11 milliards de dollars.13 faisant des armes soviétiques les plus présentes dans les arsenaux algériens. L’héritage de cette coopération militaire est toujours présent et enraciné aujourd’hui, mais il a considérablement ralenti avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. Entre 2015 et 2019, l’Algérie est restée le sixième importateur mondial d’armes. À cette époque, la Fédération de Russie couvrait 67 % de ces importations, suivie par la Chine avec 13 % et l’Allemagne avec 11 %.14. La période suivante considérée a été marquée par une baisse significative des exportations russes. Entre 2020 et 2024, l’Algérie a glissé à la vingt-et-unième place du classement précédent. Dans ce dernier rapport du SIPRI, en fait, une autre image apparaît. La Fédération de Russie occupe toujours la première place en tant que plus grand exportateur d’armes vers ce pays d’Afrique du Nord, mais avec un pourcentage nettement inférieur, à 48 %.15.

Le fait que le conflit en Ukraine ait absorbé une part de plus en plus importante des exportations militaires russes est un fait qui peut également être déduit de l'analyse du SIPRI. Au cours de la période 2020-2024, la France est ainsi devenue le deuxième exportateur mondial d’armes, dépassant la Fédération de Russie. Alors que Paris occupe aujourd’hui 9.6 % des parts de marché mondiales, Moscou s’est effondrée à 7.8 % contre 21 % sur la période 2015-201916. En bref : compte tenu de l’incapacité actuelle de Moscou à garantir les volumes de fournitures de guerre jugés nécessaires par les dirigeants militaires algériens pour répondre de manière adéquate aux multiples crises dans son environnement géographique, le dégel avec la France semble être fonctionnel pour combler ce vide.

L’intérêt russe pour l’Algérie n’a pas disparu. L’histoire des avions de combat russes Su-57E de cinquième génération rappelle l’étroite intimité de la coopération militaire russo-algérienne. Alger a récemment confirmé l’achat de tels armements, devenant ainsi le premier client étranger de Rosoboronexport se vanter de posséder une telle technologie, en attendant que d'autres pays (Corée du Nord, Égypte ?) suivent17. Conscient qu’il ne pouvait pas, à ce stade précis, satisfaire ses exportations antérieures de matériel de guerre, Moscou semble être passé d’une approche quantitative à une approche qualitative. Liant l'Algérie à elle-même par le partage d'armes hautement sophistiquées, en plus des chasseurs susmentionnés Alger possède les sous-marins de classe Kilo,18 qui nécessitent nécessairement du personnel et des éléments matériels russes dans les phases de formation et de soutien, semble être la tactique conçue par l'appareil russe pour maintenir un certain degré d'influence.

Il existe également des problèmes critiques entre l’Algérie et la Fédération de Russie. Dans la question du Sahel comme dans celle de la Libye, Alger et Moscou sont dans des camps opposés. Si le soutien russe au Mali, au Niger et au Burkina Faso est un phénomène plus récent et moins substantiel, ce n’est que le 3 avril que la Coalition Sahel a été officiellement reconnue par le Kremlin.19, l’intervention en soutien au général Haftar en Cyrénaïque est plus préoccupante. Les affrontements fréquents entre milices pour la possession de champs pétroliers et de points de passage frontaliers avec l’Algérie menacent de déstabiliser davantage ce pays d’Afrique du Nord.20.

C'est précisément au nom de la politique de non-alignement et de la poursuite de l'intérêt national que l'Algérie s'ouvre aujourd'hui à la France sans pour autant se fermer à la Fédération de Russie. C’est le manque d’alternatives valables qui recommande cette approche. Moscou est aujourd’hui jugé incapable d’apporter le soutien nécessaire à Alger. Paris, de son côté, désireux de contenir la Fédération de Russie en Europe et en Afrique, s'accroche à la demande de son voisin de tenter de revenir dans cette zone qui appartenait autrefois à l'empire français. L’Algérie comme tremplin nord-africain pour (ré)intégrer la mêlée sahélienne.

La grande absente du rééquilibrage des relations entre l'Algérie et la France est l'Italie. Rome, après avoir entrepris le processus de découplage progressif du bassin énergétique russe, s'intéresse à nouveau avec intérêt aux ressources algériennes. Le pays d’Afrique du Nord est ainsi rapidement devenu le principal fournisseur de gaz de la péninsule21. Si en 2021 les importations italiennes s'élevaient à environ 6,1 milliards d'euros, en 2022 elles ont atteint le chiffre record de 18,2 milliards, faisant de l'Italie le premier marché de destination des marchandises algériennes22. Ces revenus, ajoutés à ceux provenant d'autres pays européens orphelins du gaz sibérien, ont permis au gouvernement algérien de doubler ses dépenses militaires de 9.15 milliards de dollars en 2022 à 18.3 milliards en 2023.23. À une prééminence économique, confirmée par le récent accord déchiré par Eni24, ne correspond pas à un capital politique reconnu et dépensable. Il y a aussi un conflit ennuyeux entre Rome et Alger. En mars 2018, l’Algérie a établi unilatéralement une zone économique exclusive qui borde la côte sud-ouest de la Sardaigne, chevauchant le plateau continental de l’île.25. Si pendant la crise énergétique la vulnérabilité de Rome n'a pas permis aux gouvernements successifs d'entamer les négociations nécessaires avec leurs homologues algériens pour résoudre le problème, aujourd'hui la faiblesse de l'Algérie pourrait être exploitée par l'Italie pour rééquilibrer les relations avec le principal partenaire africain du Bel Paese.

Comme un coup de tonnerre, le 14 avril, l'Algérie expulse douze responsables français de l'ambassade, le lendemain la France rappelle son ambassadeur d'Alger pour consultations et ordonne l'expulsion de douze responsables algériens en représailles.26. Le pays d'Afrique du Nord a justifié cette démarche par une protestation contre la mise en examen, le 13 avril, par le parquet français, de trois hommes, dont un employé consulaire algérien, pour l'arrestation, l'enlèvement et la séquestration d'Amir Boukhors, un opposant au régime algérien.27 en exil en France. La coïncidence entre la tentative de rapprochement entre Alger et Paris et le dernier épisode en date n’est pas un hasard. Les instances du pouvoir ont-elles voulu envoyer un signal à Macron et Barrot ?, principaux partisans de la reprise du dialogue avec le voisin nord-africain inconfortable. Une chose est sûre : une normalisation complète des relations entre Alger et Paris n’est pas possible.