OTSC : OTAN russe ?

(Pour Andrea Gaspardo)
26/01/22

Au cours des événements qui ont récemment touché le Kazakhstan, on a beaucoup parlé de l'intervention, cette fois au cours d'une grande crise généralisée, des troupes de l'Organisation du Traité de sécurité collective (également connue sous son abréviation en anglais "CSTO" ou russe "ODKB"). Bien que l'OTSC soit souvent appelée "l'OTAN russe", cette définition est erronée et ne représente absolument pas les caractéristiques uniques d'une telle organisation.

La comparaison entre l'OTAN et l'OTSC est impossible si l'on pense d'abord aux origines différentes de ces organisations.

La « carte d'identité » et l'« ADN » de l'OTAN étant bien connus, je m'attacherai explicitement à parler de l'OTSC pour décrire à la fois sa raison d'être et son modus operandi.

L'origine de l'OTSC remonte à l'éclatement de l'Union soviétique, fin 1991. Après une première « ivresse », immédiate, due à la proclamation de l'indépendance des différents pays constituant autrefois « l'Empire communiste », les dirigeants des "États successeurs" entament des négociations effrénées afin de nouer de nouveaux partenariats et collaborations croisées. Inutile de dire que la Russie s'est immédiatement impliquée dans la quasi-totalité des tables de négociation afin de pouvoir maintenir une forme de contrôle indirect sur les autres États post-soviétiques, appelés collectivement "l'étranger proche" (Ближнее Зарубежье) selon une formule lexicale inventé par le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie de l'époque, Andrey Vladimirovitch Kozyrev.

De toute évidence, l'un des problèmes les plus urgents à résoudre était celui de assurer la sécurité militaire globale.

Dans un premier temps, les États post-soviétiques ont opté pour le maintien temporaire des forces armées soviétiques qui, en 1992, sont devenues connues sous le nom de Forces armées unies de la Communauté des États indépendants attendant que l'héritage militaire de « l'État commun » soit réparti entre les 15 nouvelles républiques. Par la suite, le 15 mars de la même année, 6 des 15 républiques (Russie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan et Tadjikistan) décident de donner vie à une nouvelle alliance militaire aux contours encore assez "flous" qui prend le nom de " Pacte de Tachkent », du nom de la capitale de l'Ouzbékistan choisie pour accueillir le sommet qui s'est conclu par la signature des accords préliminaires.

En 1993, la Biélorussie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie ont également décidé de se joindre, portant le total des pays membres à son sommet historique de 9.

En 1994, enfin, après deux ans de négociations, l'alliance entre officiellement en vigueur pour une durée de 5 ans et la perspective d'être renouvelée.

En 1999, la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Ouzbékistan ont choisi de ne pas renouveler le pacte alors que tous les autres contractants l'ont fait en introduisant également une série de modifications du statut qui ont abouti à l'établissement d'une véritable alliance militaire ; l'OTSC était alors véritablement née.

Conformément au statut de l'organisation, l'OTSC a pour objet de garantir la défense mutuelle des parties contractantes contre des menaces militaires extérieures limitées, lutter contre le terrorisme et le trafic illégal de stupéfiants, garantir la stabilité interne des pays contractants en les protégeant de toute initiative de déstabilisation pouvant provenir de l'intérieur ou de l'extérieur.

Pour éviter d'éventuels glissements vers des influences autres que russes, les pays contractants ne peuvent rejoindre d'autres alliances militaires en même temps. De plus, pour ouvrir une base de pays tiers sur son territoire, le pays membre de l'OTSC qui fait l'objet d'une telle initiative diplomatique et militaire doit préalablement recevoir l'accord préalable des autres pays de l'alliance. Ce fut le cas du Kirghizistan lorsque les États-Unis d'Amérique entrèrent en négociations pour l'ouverture d'une base aérienne (désormais fermée) à Manas, dans la période qui suivit les événements du 11 septembre 2001. Ou du Tadjikistan lorsqu'il entama des négociations avec l'Inde pour l'ouverture de deux bases pour l'armée de l'air indienne respectivement à Farkhor et Ayni (celles-ci sont toujours utilisées aujourd'hui).

Au fil des ans, le chemin de vie de l'OTSC a été décidément cahoteux et non sans critiques.

L'alliance n'a jamais réussi à se débarrasser de la réputation de n'être rien de plus qu'un outil permettant à la Russie de maintenir le contrôle de ses anciens territoires «impériaux». De plus, étant par essence un accord regroupant des gouvernements à caractère autoritaire, l'OTSC ne bénéficie pas en son sein de la même « compacité idéologique » que l'OTAN, car il n'y a pas de réelle communauté de valeurs.

Etant donc une alliance militaire de complaisance dans laquelle la Russie joue un rôle de premier plan, l'OTSC tend à être soumise aux pressions ainsi qu'aux priorités stratégiques de Moscou.

C'est un point très important car lorsque les soi-disant « alliés » de la Russie se sont retrouvés littéralement « empêtrés » dans des conflits, voire dramatiquement violents, avec d'autres États qui ne font pas partie de l'alliance ou même avec les autres pays de l'OTSC elle-même, Moscou a souvent lamentablement échoué dans sa tentative à la fois d'agir en tant que pacificateur et médiateur et de défendre ses alliés qui ont été victimes d'agressions. Les exemples incluent les fréquents affrontements frontaliers entre le Kirghizistan et le Tadjikistan où la Russie a eu du mal à jouer un rôle de médiateur. Ou les menaces de guerre que l'Ouzbékistan a dirigées à plusieurs reprises contre le Tadjikistan et le Kirghizistan.

Un exemple extrême est le conflit en cours entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. En effet, tant lors des affrontements frontaliers dans la province de Tavush en juillet 2020, que lors de la seconde guerre du Haut-Karabakh entre le 27 septembre et le 10 octobre 2020 et enfin lors des affrontements frontaliers qui ont duré durant l'année 2021, l'OTSC a échoué dans sa mission de soutenir l'un de ses États membres engagé dans une guerre conventionnelle contre un pays qui ne fait plus partie de l'alliance.

La raison de toutes ces hésitations de la part de l'OTSC (ou plutôt de la part de la Russie) s'explique par le fait que Moscou n'a jamais abandonné l'objectif de réintégration dans une seule sphère d'influence (quand pas dans l'État lui-même ! ) tous les territoires faisant autrefois partie de l'URSS. C'est pourquoi la direction du Kremlin a toujours été très réticente à utiliser les armes pour soumettre d'autres pays post-soviétiques à sa volonté, comme le montrent les exemples de la Moldavie, de la Géorgie et de l'Ukraine.

Conséquence de cette action, l'OTSC s'est retrouvée soumise à un « barrage de feu », parfois même fortement soutenu, par la presse et par l'opinion publique ou par les régimes des différents États membres. C'est le cas de l'Arménie, où l'OTSC jouit d'une popularité aujourd'hui réduite à un scintillement précisément pour n'avoir pu soutenir la petite république caucasienne au cours des tout derniers événements qui l'ont opposée à l'Azerbaïdjan voisin, et c'est aussi le cas de l'Ouzbékistan, qui dans la période entre 2006 et 2012, avait rejoint l'alliance, mais était ensuite ressorti une fois de plus dans la polémique avec les attitudes trop « paternalistes » de la Russie.

C'est pourquoi à plus d'une reprise, la presse mondiale, notamment anglo-saxonne, s'était moquée de l'OTSC en l'accusant d'être essentiellement un "tigre de papier", bon uniquement pour organiser des manœuvres militaires mais substantiellement inefficace et absolument incapable de transformer devenir un véritable « multiplicateur de puissance » de la Russie sur la scène internationale, par opposition à ce que l'OTAN est pour les États-Unis d'Amérique.

Aujourd'hui, semble-t-il, et bien qu'avec un long retard, il semble que les Russes aient enfin compris l'importance que les alliances militaires jouent à la fois en tant que multiplicateurs de puissance et en tant que "boucliers juridiques" utiles à utiliser pour masquer les opérations de l'étranger.

C'est pourquoi, lorsque le gouvernement du président kazakh Kassym-Jomart Kemelevich Tokayev a été ébranlé début 2022 par les manifestations les plus violentes et les plus dangereuses de l'histoire du Kazakhstan indépendant, au lieu de commettre les mêmes erreurs que celles survenues en Ukraine en 2014, Poutine a cette fois agi de manière intelligente et masquée l'intervention en soutien au régime kazakh de facto comme une opération de « maintien de la paix » sous la bannière de l'OTSC qui déploya en peu de temps sa « Force de réaction rapide collective » à la formation de laquelle tous les États participèrent.

À l'exception du Kazakhstan qui, pour des raisons évidentes, a dû déployer massivement ses forces armées, sa garde nationale, sa police militaire et sa police pour écraser l'insurrection, les unités déployées par les autres pays étaient les suivantes :

  • Russie: 98a Division aéroportée des gardes, 31a brigade d'assaut aérien des gardes e 45a brigade spetsnaz des gardes;
  • Biélorussie : 103a Brigade aéroportée des gardes;
  • Tadjikistan : l'un des trois bataillons d'infanterie de la Forces mobiles tadjikes ;
  • Kirghizistan : un bataillon d'infanterie des forces terrestres kirghizes;
  • Arménie: 12a Brigade de maintien de la paix.

Il est donc évident même pour les non-experts que le total officiel de 3800 5 " casques bleus " officiellement déployés sur place est une sous-estimation ridicule et que le nombre réel d'hommes envoyés au Kazakhstan depuis les 20 autres pays de l'OTSC est d'environ 30.000 à XNUMX XNUMX unités.

Le but de l'envoi d'un si grand nombre d'hommes est en fait simple, car les contingents des pays de l'OTSC sont allés mettre en garnison une série de cibles et de sites stratégiques dans diverses parties du Kazakhstan afin de libérer le plus possible d'hommes du Forces armées et de sécurité de la République du Kazakhstan qui ont ensuite été acheminées vers les villes où les manifestations étaient devenues complètement incontrôlables (comme à Almaty) afin de mettre en œuvre une répression rapide et brutale.

Le dénouement de cette "mission" fut si efficace que, dès le 13 janvier, le président Tokaïev put la déclarer réussie, annonçant alors le retrait des contingents des pays alliés qui fut ponctuellement conclu 10 jours plus tard.

Le succès de l'opération Kazakhstan a été total et, il n'est pas certain qu'elle ne puisse pas représenter le « prototype » d'autres missions de « maintien de la paix » et « d'imposition de la paix » qui deviendront presque certainement nécessaires dans les années et décennies à venir sur tous les territoires de l'espace ex-soviétique, ces pays étant structurellement faibles et toujours affligés par les mêmes maux économiques et sociaux accumulés au cours des 30 années qui se sont écoulées depuis la chute de l'URSS.

Photo : Ministère de la Défense de la Fédération de Russie / Kremlin