L'entrée de la Turquie dans les BRICS+ : un nouveau départ ?

(Pour Guglielmo Maria Barbetta)
05/09/24

La Turquie a exprimé son intention de rejoindre les BRICS+, le groupe d'économies émergentes initialement formé par le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, avec l'ajout de l'Afrique du Sud en 2010, et de l'Éthiopie, de l'Égypte, de l'Iran et des Émirats arabes unis en 2024. 

Le pays, sous la direction du président Recep Tayyip Erdoğan, a toujours cherché à diversifier ses alliances économiques et politiques, cherchant à équilibrer ses relations avec l'Occident et à ouvrir de nouvelles voies de coopération avec l'Est et le Sud. Dans ce contexte, rejoindre les BRICS+ pourrait représenter une opportunité significative pour Ankara de renforcer sa position dans un contexte géopolitique en évolution très rapide.
Bien qu'aucune mesure concrète n'ait encore été prise en vue de l'adhésion, le porte-parole de l'AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi, Parti de la justice et du développement) au pouvoir a déclaré que "le processus est en cours"

Pourquoi la Turquie s’intéresse-t-elle aux BRICS+ ?

L'intérêt de la Turquie pour les BRICS vient en partie des défis économiques auxquels elle a été confrontée ces dernières années, comme lainflation et dévaluation de la livre turque. L’entrée dans le groupe pourrait ouvrir de nouvelles portes, permettant au pays d’accéder à des marchés plus vastes et à des ressources financières provenant d’autres économies émergentes, réduisant ainsi sa dépendance à l’égard des investissements occidentaux. Ankara pourrait ainsi accroître son poids économique au sein d’un vaste réseau de pays à croissance rapide.

Une autre raison cruciale réside dans l’indépendance stratégique. La Turquie a en effet souvent tenté de s’imposer comme un acteur autonome sur la scène internationale, évitant de s’aligner totalement sur les dynamiques imposées par les grandes puissances, notamment entre les États-Unis, l’Otan et la Russie. Rejoindre les BRICS offrirait une plate-forme alternative pour la coopération politique et la résolution des tensions internationales, renforçant ainsi la capacité d'Ankara à se déplacer plus librement dans le contexte géopolitique.

Par ailleurs, l'économie turque se tourne de plus en plus vers les régions d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient, zones qui représentent des marchés vitaux pour les exportations du pays. Faire partie des BRICS, qui représentent déjà environ 40 % de la population mondiale et un tiers du PIB mondial, permettrait à la Turquie de renforcer davantage ses liens commerciaux avec ces régions et de saisir de nouvelles opportunités économiques au sein d'un bloc de pays en croissance constante.

Les défis de l’adhésion

Malgré les avantages potentiels, la Turquie pourrait rencontrer de nombreux défis dans sa tentative d’adhésion aux BRICS+. L'une des principales difficultés concerne les équilibres géopolitiques. La Turquie est en effet toujours un membre important de l’OTAN et entretient des relations historiques et stratégiques avec l’Occident. L’entrée dans les BRICS pourrait compliquer ces relations, notamment dans un contexte de rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Ankara sera appelée à trouver un équilibre délicat entre le renforcement de ses relations avec le bloc émergent et le maintien de ses alliances occidentales, en essayant d’éviter qu’un choix dans une direction n’affecte négativement l’autre.

Un autre défi réside au sein même des BRICS. Les pays membres ne partagent pas toujours une vision homogène sur les questions économiques et géopolitiques, comme le démontrent les divergences fréquentes entre l’Inde et la Chine. L'entrée de la Turquie, avec ses spécificités et ses intérêts nationaux, pourrait ajouter encore plus de complexité à un groupe déjà hétérogène.

L’adhésion de la Turquie aux BRICS pourrait également susciter des réactions mitigées de la part de ses alliés traditionnels. Les pays occidentaux pourraient interpréter cette décision comme un signal d’éloignement des institutions et alliances historiques, provoquant un refroidissement potentiel des relations diplomatiques ou économiques avec l’Europe et les États-Unis. Ankara devra être prête à gérer les conséquences politiques d’une décision qui pourrait modifier son positionnement international.

Si la Turquie devait effectivement rejoindre les BRICS+, cela marquerait un changement significatif dans l’équilibre géopolitique mondial. La situation stratégique d'Ankara, située entre l'Europe et l'Asie, pourrait la transformer en un pont naturel entre les économies émergentes des BRICS et l'Occident, favorisant ainsi une plus grande interconnexion économique et diplomatique. Cette entrée pourrait cependant également inciter d’autres pays émergents à envisager de rejoindre les BRICS, augmentant ainsi le poids de ce bloc sur la scène mondiale et en faisant un acteur de plus en plus important dans la dynamique internationale.

Photo : présidence de la république de Turquie