L'une des armes inédites de Poutine : la famine artificielle mondiale

(Pour David Rossi)
02/05/22

Hier, en marge de la visite de la présidente de la chambre basse américaine, Nancy Pelosi, Jim McGovern, membre de longue date du Parti démocrate mais aussi figure bipartite sur la question de la faim dans le monde, s'est exprimé : aux côtés du républicain Bob Dole, ancien candidat à la Maison-Blanche, a créé il y a vingt ans un programme alimentaire pour les écoliers et les enfants d'âge préscolaire des pays en développement. Pour cette expérience, il est intéressant de comprendre pourquoi il a suivi Pelosi lors de sa visite en Ukraine mais surtout quelle est son inquiétude. Il a fait valoir, à la fin du voyage, que les États-Unis - en plus de continuer à financer des organisations internationales telles que le Programme alimentaire mondial des Nations unies - devraient "Trouvez un moyen d'aider les Ukrainiens à établir un corridor humanitaire qui leur permettra d'expédier de la nourriture par voie maritime, pour aider les personnes les plus pauvres du monde, afin qu'elles ne meurent pas de faim".

C'est la première fois que les États-Unis parlent d'une rupture, par la partie ukrainienne, du blocus naval imposé par la Russie au large des côtes ukrainiennes en mer Noire : ils le font par l'intermédiaire d'un homme politique très estimé et parce que, selon lui, , La guerre brutale de Poutine n'est plus seulement une guerre contre le peuple ukrainien, mais aussi une guerre directe contre les plus vulnérables du monde et conduira à un risque accru de famine pour des millions de personnes.

L'Ukraine est, comme les pierres le savent aussi maintenant et comme notre Andrea Forte (lire l'article), le grenier du monde car il fournit des protéines et des graisses - sous forme de blé, de maïs, d'huile de tournesol, etc. - aux pays de tous les continents, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Il fournit également des vivres, en quantités importantes, aux organisations de secours, ainsi qu'aux mêmes Programme alimentaire mondial des Nations Unies.

Eh bien, depuis des semaines, des rapports font état de bombardements russes impliquant la destruction de dépôts de céréales dans toute l'Ukraine, en particulier dans les plaines fertiles du sud et de l'est du pays. Non, il ne s'agit pas de bombes folles ou de l'imprécision chronique des attaques des forces russes : le Kremlin vise bien la destruction de la chaîne logistique agricole ukrainienne. Mais cela ne s'arrête pas là. Il existe des dizaines de vidéos prises par des particuliers montrant des véhicules des forces armées russes engagés, depuis fin avril, dans le transfert de denrées alimentaires conservées dans les oblasts occupés par les troupes de Moscou vers le territoire russe. Des engrais et des machines agricoles, pris de force à des entreprises ukrainiennes, auraient également été amenés en Russie. Si ces images font frissonner les Ukrainiens, car elles rappellent les souvenirs de l'Holodomor, lorsque Moscou a décidé de nettoyer les steppes entre l'Ukraine et le Kazakhstan au moyen d'une famine artificielle, elles rappellent au reste du monde le cheval noir de l'Apocalypse, celle qui évoque la terreur de la rareté de la nourriture.

La crainte de beaucoup est que, si la guerre de Poutine continue, le Kremlin frappe les champs avec des engins incendiaires ou des armes chimiques pour dévaster les récoltes au moment des récoltes, mais aussi pour les rendre inutiles pour une utilisation future.

Comme l'ont révélé de nombreuses interviews de « conseillers de Poutine », savamment libérés du Kremlin au rythme d'un par semaine dans les médias internationaux après le retrait de Kiev, l'objectif ultime n'est pas seulement l'occupation d'une partie substantielle du territoire ukrainien, mais rendre le reste du pays dépendant et économiquement handicapé. Moscou n'hésite pas à détruire les infrastructures des territoires occupés - avec la perspective de devenir des territoires annexés -, signe que l'objectif est de créer une zone tampon, pas forcément de valeur économique, en utilisant à cette fin l'Ukraine directement contrôlée et le " personne dépendante ».

Frapper des terres agricoles et empêcher - provisoirement ou définitivement - leur utilisation pour la production de denrées alimentaires peut être fonctionnel à cette fin, mais ce sera aussi l'une des « armes jamais vues » dont parlait Poutine : privés de la nourriture produite en Ukraine, des millions de Africains et Asiatiques afflueront en Europe et aux États-Unis entre le second semestre 2022 et le premier semestre 2023 - mais surtout sur notre continent, compte tenu de l'extension de la frontière maritime -, causant des dégâts comparables à une guerre perdue.

Dans ce scénario, la création de corridors, suggérée par McGovern, pour le transit des produits agricoles ukrainiens destinés à l'exportation et des organisations humanitaires ne peut se baser uniquement sur le « petit mot » de Poutine : ce monsieur a amplement démontré qu'il n'est pas crédible et qu'il ment à le contenu de votre coeur. Bref, la création de corridors "convenus" apparaît comme une mesure nécessaire mais pas suffisante : il faudra doter l'Ukraine des armes pour garantir la sécurité des futures récoltes face aux attaques aériennes et de missiles, ainsi que les outils pour leur Stockage et transport en toute sécurité.

A terme, il faudra peut-être aussi leur permettre d'imposer ces couloirs, à supposer que la Russie en fasse autant que pour les couloirs de transit des réfugiés : maintenant je vous laisse passer, bientôt je vous tire dessus (et dans ce cas Je détruis la récolte). Éviter une famine catastrophique mondiale d'origine humaine, une nouvelle holodome mais à l'échelle mondiale, cela semble une justification suffisante pour toute action...