Journal syrien. Cap.6: Le coiffeur de Damas

(Pour Andrea Cucco, Giampiero Venturi)
17/02/16

M. est un homme mince. La barbe d'un mois encadre un visage triste et gris comme un mur. Il a un regard sombre qui cache un abîme, une blessure profonde. La deuxième fois que nous nous rencontrons, il tremble un peu et une brèche s'ouvre dans son silence. Prenez confiance et commencez à parler.

Novembre 2012 (zone nord-est de Damas): avant que la guerre ne passe là-bas, M. renvoie sa femme et ses enfants. Il reste parce que le salon de coiffure et la maison sont toute sa vie. Il doit travailler pour soutenir la famille.

S'il les trouve soudainement dans la maison. Ce sont les "miliciens modérés pour la liberté et la démocratie" de l'armée syrienne libre. Ceux du printemps arabe, amis d'amis ...

Il est immédiatement battu à mort pour avoir été un chiite, un infidèle. Il est en fait sunnite, mais ils ne le croient pas. Des jours absurdes de coups et de tortures commencent.

Il découvre les bandages de ses pieds et nous montre les marques sur ses chevilles (photo). Ils l'ont torturé avec de l'électricité pour lui extorquer des aveux.

Pour soulager la douleur, M. pourrait avouer ce qui ne l'est pas. S'il l'avait fait, ils l'auraient tué sur le coup comme cela est arrivé à d'autres voisins.

Il continue de nier mais ses tortionnaires ne le croient pas. Après des semaines de coups et de menaces de mort, la tristement célèbre FSA décide d'y mettre fin. Ils l'emmènent dans la rue, ils l'incapriment et lui disent de prier. Lorsque l'AK qui visait son front est sur le point de tirer, le chef de gang passe. Il lève le canon du fusil tandis que le coup qui lui touche la tête commence.

"C'est un sunnite, qu'est-ce que tu fous!" - s'exclame-t-il.

Le chef de milice local est un homme du coin et le reconnaît. L'exécution échappée est le début d'un autre enfer: ils occupent sa maison et l'asservissent. Il est contraint de servir entre violences physiques et morales de toutes sortes.

Pendant ce temps, la vie quotidienne dans ce quartier de Damas est rythmée par des exécutions sommaires. Les corps des soldats capturés sont jetés dans les poubelles après la torture. Tous les "infidèles" sont systématiquement éliminés: chiites, alaouites, druzes, chrétiens ... Il existe un plan précis et préétabli.

Les miliciens sont des Syriens locaux mais surtout des étrangers, principalement des Marocains et des Tunisiens. Pas d'européen. Il reconnaît presque tous les Syriens parce qu'ils étaient ses clients.

M. s'arrête pétrifié. Une image, un souvenir, quelque chose le dérange. Sa voix se met en colère, presque mauvaise. Il dit que ces bêtes n'étaient pas de vrais croyants: elles se droguaient, se saoulaient et se sodomisaient. Le tout dans son lit de mariage ... La modestie et la présence de clients dans la boutique l'empêchent d'en dire plus. La violence physique qu'il a dû endurer se perd dans son regard terne, figé dans une haine profonde et dans une posture contractée.

Il recommence à parler et dit que l'étage supérieur de la maison était devenu un manège militaire.

Les armes sont nombreuses et très modernes. On ne sait pas qui les a fournis mais les miliciens sont mieux équipés que l'armée. Les fusils de sniper avec optique de nuit récoltent des victimes pendant des mois. Les familles arrêtent d'envoyer i les enfants à l'école parce qu'ils deviennent de plus en plus la cible de tireurs d'élite postés sur les toits. Les miliciens modérés s'amusent pendant 9 mois, combien de temps dure l'occupation de cette partie de Damas.

La fête se termine un jour. L'armée arrive et les miliciens de l'armée syrienne libre fuient. Ils emmènent M. avec eux, mais il parvient à se dégager. Il se dirige vers l'armée syrienne. Agite le maillot de corps blanc, les atteint et trouve la fuite.

Le magasin et la maison sont devenus des décombres. Cependant, il parvient à faire recommencer la famille. La vie à Damas reprend lentement.

Nous lui demandons s'il a jamais cru aux manifestations de 2011.

Il répond que la révolution a été organisée de l'extérieur. Il était clair dès le départ que c'était un piège.

Lorsqu'il parle de ce qu'il ressent pour les miliciens, l'obscurité lui revient. Ils perdent lumière et vie. Derrière son visage gris, il ne peut pas trouver le pardon pour ce qu'ils lui ont fait. Il s'agit de mort, de vengeance, de haine sans fin. C'est la guerre souhaitée par les autres.

(Photo: Défense en ligne)