Syrie: le flop américain au Moyen-Orient est derrière les mouvements de la Turquie

(Pour Giampiero Venturi)
30/08/16

L'armée turque est en Syrie. Du point de vue militaire, le fait n’a pas de relief particulier. Les armes turques et le soutien d'Ankara aux militants turkmènes sur le territoire syrien n'ont jamais cessé depuis le début de la guerre.
Les données politiques du choix d’intervenir officiellement de l’autre côté de la frontière avec des troupes régulières sont en revanche énormes, surtout si elles sont coordonnées avec l’annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre la Turquie et Israël.

Celui qui suit la colonne "Tempi Venturi" connaît l'attention donnée par Défense en ligne l’équilibre tournait autour de l’axe Tel-Aviv-Ankara, fissuré à partir du 2010 mais toujours décisif pour comprendre la direction prise par le vent au Moyen-Orient. 
La décision turque de combattre ouvertement les Kurdes YPG en territoire syrien (sous prétexte de lutter contre l'Etat islamique) n'est pas un coup de tonnerre. Derrière le danger turc apparent, il y a un raisonnement de deux ans et une série de contacts entre chancelleries qui ont débuté à l'automne de 2015, puis se sont accélérés après les succès remportés par les Kurdes au nord-est de la Syrie au début de l'été. Cependant, les modalités diplomatiques et les couloirs politiques le long desquels l'action s'est développée sont inhabituels. L’initiative turque a été approuvée par Moscou en juin et "télégraphiée" à l’avance à Israël, une copie aveugle étant envoyée à Damas. La seule adresse manquante dans la lettre virtuelle d'Ankara est Washington, allié séculaire des Turcs pour le bloc eurasien.

Parmi les raisons pour lesquelles les forces turques sont en Syrie, nous avons déjà abondamment écrit. Il est utile ici de répéter seulement qu'Erdogan et son revanchisme ottoman ne peuvent se permettre la contagion d'une nouvelle euphorie kurde à la maison. 
Sur la raison pour laquelle les Turcs ont forcé la main en défiant la patience américaine, il est bon de réfléchir.

Les États-Unis soutiennent officiellement les Kurdes dès le début de la campagne militaire fantôme contre l'État islamique. L’alliance est restée sur le papier pendant plus d’un an, précisément sous la pression d’Ankara, irritée par le renforcement possible des Kurdes syriens. La veille américaine, à son tour critiquée par le martèlement kurde, a été relâchée en avril lorsque la reconquête des forces d’Assad et de leurs alliés est devenue trop embarrassante pour Washington. Les forces spéciales américaines sont donc entrées en Syrie et une pluie d'aide a commencé à tomber sur les milices kurdes du YPG et sur les forces mixtes kurdes et arabes du SDF.
Ankara, aux prises avec une réorganisation politique intérieure aux traits sombres, s'est retrouvée à la croisée des chemins: continue-t-elle de rendre l'Amérique nerveuse en protégeant ses intérêts immédiats ou en saisissant l'occasion de rentrer sous l'égide du Grand Allié?

Trois facteurs ont considérablement affecté:
- la possibilité de rétablir les relations avec Israël, ancien grand ami de la Turquie, qui, depuis quelques années, est profondément agacé par l'administration Obama;
- la nécessité de rétablir des contacts sérieux avec Moscou, avec laquelle elle était arrivée à l'automne, à un pas de la guerre;
- la volonté de relancer une politique étrangère jugée moins ambitieuse par les étages supérieurs du Bosphore à l'échelle régionale et extra-régionale.

La tentative de coup d'État de 15 en juillet dernier a jeté une ombre sur les relations réelles entre Ankara et Washington. 
En prévision d'un changement de locataire à la Maison Blanche, Erdogan a joué, accusant les États-Unis plus ou moins ouvertement d'avoir comploté contre lui. Le président turc a levé le ton en sachant que son dos était couvert: Poutine et Nethanyau ont tous les deux intérêt à embarrasser la politique actuelle des Etats-Unis au Moyen-Orient. Avec un avertissement muet, la décision d'entrer en Syrie, prête pour des mois mais à contre-courant, a finalement été prise. Jamais le moment le plus propice n'a été. L’action de la Turquie tombe dans une phase de transition d’équilibre et ne doit pas provoquer d’effets clameurs apparents, elle ne peut avoir d’effets secondaires graves.

À l'exception des monarchies perfides du Golfe et d'une Jordanie peu substantielle, aucun pays du Moyen-Orient ne représente aujourd'hui un havre de paix pour Washington: pas même l'Irak et l'Égypte du caméléon Al Sissi. 
Selon toute vraisemblance, les États-Unis renonceront donc à la cause kurde, jamais centrale au Département d'État. Garder un bon récalcitrant et indiscipliné Ankara sera toujours le plus gros butin, même pour le futur président des États-Unis.

Reste à voir combien et comment Erdogan s'aventurera encore. La Turquie reste un pays de l'OTAN à toutes fins utiles, mais le vent sur le Bosphore n'est plus le même.

(photo: Türk Silahlı Kuvvetleri / 2a photo - cadre ronahi TV)