Les Ottomans vont-ils reprendre la Libye?

(Pour Giuseppe De Giorgi)
01/01/20

Erdogan frémit d'intervenir en Libye, au point de ne pas avoir attendu le feu vert de son Parlement pour envoyer des troupes, prévues pour le 2 janvier, en effet déjà infiltrées clandestinement depuis des jours.

Le retour de la Turquie en Libye après son expulsion en 1912, précisément par la main italienne, est une opportunité incontournable à au moins deux égards, le premier économique, pour obtenir un accès privilégié aux gisements d'hydrocarbures dans les eaux face à la Libye et aux investissements liés à la reconstruction post-guerre civile (environ 13 milliards de dollars de travaux sous contrat avec des entreprises turques, suspendus après la chute de Kadhafi), le second, d'un ordre stratégique, pour restaurer la présence turque en Libye et en Méditerranée centrale après un siècle d'absence, également au prix de bouleverser radicalement les équilibres militaires et politiques vers l'Italie et la Grèce.

Expulser l'Italie de la Libye aurait également une forte résonance dans l'opinion publique turque: le règlement d'un ancien compte, qui est resté en suspens depuis la guerre italo-turque de 1912, lorsque les Ottomans ont perdu la Libye par la main italienne. Il y a encore quelques mois, une hypothèse qui ne pouvait être réalisée que dans un avenir dystopique apparaîtrait. Maintenant, le rêve d'Erdogan pourrait vraiment devenir réalité.

Jamais auparavant l'Italie n'a été solitaire et faible, pas équipée pour protéger ses intérêts nationaux, sans le bouclier américain et en l'absence d'un contexte multilatéral dans lequel trouver refuge et direction politique.

Jamais auparavant la Turquie n'a représenté un adversaire redoutable, non seulement pour sa capacité militaire, mais surtout pour sa propension à recourir à la force même contre des pays appartenant à l'OTAN (contre la Grèce et plus récemment contre l'Italie dans les eaux de Chypre).

Il arrive donc que, comme par le passé, l'Italie succombe à la tentation de chercher le salut de ses adversaires. Même dans cette contingence, sauter sur le char du vainqueur semble être la seule issue, avec l'espoir de conditions moins dures que celles que l'on peut obtenir en restant aux côtés d'al-Sarraj jusqu'à la fin.

Le problème est que d'une part la fin d'al-Sarraj n'est peut-être pas aussi imminente qu'il y a quelques jours, avant l'annonce de l'intervention directe de la Turquie et d'autre part que le camp qui soutient Haftar est déjà très encombré pour laisser de l'espace à la protection des intérêts italiens qui, en outre, sont précisément en conflit avec ceux d'un des principaux sponsors de la première heure de Haftar, ou de la France.

Avec l'entrée des Turcs en Libye aux côtés d'al-Sarraj, le changement prévu dans le déploiement de l'Italie pèserait peu sur l'équilibre des forces sur le terrain et, par conséquent, ne constituerait pas un produit d'échange présentant un intérêt particulier pour Haftar, alors que de tels si elle était confirmée, elle porterait considérablement atteinte à notre crédibilité internationale et à la protection de nos intérêts en Tripolitaine au cas où Tripoli résisterait au siège de Haftar. Beaucoup dépendra des moments de la crise et des développements sur le terrain dans les prochains jours.

Il est dans l'intérêt de la coalition Haftar d'évincer al-Sarraj dès que possible, avant que la présence turque ne devienne significative et avant Les interventions internationales ONU / UE pourraient déclencher une trêve sur le terrain qui pourrait en fait favoriser Erdogan qui continuerait à infiltrer les vétérans irréguliers du conflit syrien.

Erdogan, d'autre part, a intérêt à prolonger la situation de conflit autour de Tripoli pour légitimer le déploiement d'un dispositif militaire suffisamment puissant qui lui permettrait de négocier son séjour en Tripolitaine, éventuellement en échange du contrôle de la Russie / Egypte de la Cyrénaïque, avec le possibilité d'ouvrir une base navale à Derna pour les Russes et d'établir une zone tampon dans l'est de la Cyrénaïque, souhaitée par le Premier ministre égyptien al-Sisi.

En attendant, jusqu'à ce qu'al-Sarraj tombe ce qui deviendra des intérêts italiens et des vulnérabilités en Libye qui ont dicté notre choix de champ aux côtés d'al-Sarraj, les concessions d'ENI sur les immenses gisements d'hydrocarbures libyens (entre qui se démarquent de ceux de la zone économique exclusive libyenne), de l'oléoduc Mellitah (à l'ouest de Tripoli) et du contrôle des flux migratoires?

L'image qui se dessine pour l'Italie risque d'être défavorable à la fois dans le cas de la résistance d'al-Sarraj, car nous nous serions empressés de l'abandonner à son destin dans un moment de difficulté maximale, ouvrant ainsi la voie aux Turcs, et dans le Cas de victoire de Haftar, car ils tardent à sauter sur le chariot du vainqueur.

Photo: présidence de la république de Turquie / Elysée