Les bouches de Bonifacio séparent la Sardaigne de la Corse et n'ont, à leur point le plus étroit, qu'une distance de 12 km. Cela a toujours favorisé les échanges entre les deux îles, permettant également aux bergers corses de traverser facilement le détroit pour amener leurs troupeaux paître en Gallura ou sur les îles de l'archipel de La Maddalena, qui compte sept îles principales (La Maddalena, Caprera, Santo Stefano, Spargi, Budelli, Ralòli et Santa Maria) avec un grand nombre d'îlots plus petits. Ce sont toutes des îles séparées par de petites étendues de mer qui sont pour la plupart non navigables par des navires moyens/gros et ceci, si d'une part c'était un danger pour la navigation, d'autre part cela représentait une protection naturelle pour ceux qui s'arrêtaient dans les eaux de l'archipel pour se protéger des pirates ou du fort vent Mistral/Ponente qui, du fait de la proximité des deux côtes, atteint des intensités importantes.
Dans ce contexte, les trois îles principales (La Maddalena, Caprera et Santo Stefano) forment le groupe le plus important, notamment parce qu'elles bordent des eaux navigables, qui offrent à la fois une bonne protection et possibilité de surveiller le trafic passant par les embouchures. La position géographique de l'archipel, en effet, a toujours été une source d'attraction pour ceux qui avaient intérêt à contrôler (ou développer) le commerce dans cette partie de la Méditerranée. De par leur proximité, les populations résidant en Corse et dans l'archipel ont développé puis entretenu des relations nombreuses et fructueuses, du Néolithique jusqu'au début du XVIIIe siècle, où tout a changé.
L'arrière-plan
En 1720, en effet, la Sardaigne (avec l'archipel de La Maddalena) était attribuée aux Savoie, qui jusqu'alors ne connaissaient ni la région, ni les populations, ni les îles de l'archipel. La Corse étant la "propriété" de Gênes, qui à l'époque n'était pas encore la Savoie, des tensions commencèrent à fleurir au niveau politique concernant la possession des îles de l'archipel. Pas chez les habitants qui, en revanche, restaient indifférents à tisser des relations commerciales satisfaisantes de part et d'autre.
Les choses commencèrent à se compliquer en 1768, suite à la signature du traité de Versailles par lequel Gênes, aujourd'hui en faillite et qui avait depuis longtemps perdu le contrôle de l'île, vendit ses droits (sic !) à la France sous Louis XV sur la Corse, qui était cependant indépendant de facto à partir de 1755 (Pasquale Paoli). L'occupation militaire française a eu lieu immédiatement par les troupes commandées par Noël Jourda, comte de Vaux. Cependant, l'annexion formelle a eu lieu plus tard, quatre mois après la prise de la Bastille (30 novembre 1789), avec un acte de l'Assemblée nationale constituante française.
Le passage de la Corse à la France a complètement changé le cadre géopolitique de la région, étant donné que le Royaume-Uni avait continué à envoyer de l'aide à la Corse, se plaçant une fois de plus comme un antagoniste des transalpins. Bien que Londres ait décidé de ne pas intervenir, ayant reconnu la valeur stratégique de l'archipel, elle s'est rapprochée des Savoie, afin de lui permettre de maintenir une certaine forme de surveillance sur le trafic à travers les Bouches de Bonifacio.
La valeur stratégique de l'archipel de La Maddalena était également très claire pour les Français qui se fixèrent aussitôt pour objectif de contrôler les deux rives du détroit, soutenus en cela par les Bonifacini, qui n'avaient cessé de demander à leur gouvernement de tout mettre en œuvre pour " reprendre possession" de ces îles.
L'importance stratégique de la position et des débarquements de l'archipel se précise donc de plus en plus, même dans l'esprit des Savoyards qui réévaluent ces positions stratégiques pour le commerce de la zone et commencent, avec retard coupable, pour construire des ouvrages militaires de défense, désormais incontournables.
Préparation militaire et agression française
La crainte d'une attaque française imminente accéléra également la préparation des équipages des navires savoyards, parmi lesquels combattirent de nombreux jeunes soldats de La Maddalena, précédemment enrôlés pour lutter contre les incursions des pirates barbaresques, fréquentes et dangereuses à l'époque. Au cours de ces dures batailles, les habitants de La Maddalena se sont couverts de gloire pour leur courage et leur sens marin, se méritant des médailles d'or pour leur bravoure. Ces résultats sont d'autant plus importants si l'on considère que les habitants de La Maddalena, bien que vivant sur une île, n'avaient pas jusqu'alors acquis de compétences maritimes significatives, ayant laissé ces tâches aux marins campaniens et maltais qui commerçaient dans la région.
En mai 1792, les rumeurs d'une éventuelle expédition française contre l'archipel et la côte de Gallura, fondamentales pour le contrôle du détroit et, par conséquent, de la mer Tyrrhénienne, se font plus insistantes. Les décideurs français ont rompu le délai au mois de décembre suivant, aussi parce qu'ils étaient étayés par des informations intelligence selon lequel le peuple de La Maddalena aurait été flatté d'une éventuelle annexion à la Corse et donc à la France.
Afin de ne rien manquer, les Français décidèrent que le nord de la Sardaigne seul ne suffirait pas et préparèrent deux corps expéditionnaires dont l'un avait pour tâche d'occuper Cagliari. Comme l'écrit Giovanna Sotgiui, c'était à propos de « …un corps expéditionnaire notable mais désorganisé, avec des troupes de volontaires en lambeaux qui, gênés par le vent du sud-ouest, les étangs côtiers et une grande inexpérience, ont été contraints de reprendre la mer au bout de deux mois, vaincus… ».
L'autre corps expéditionnaire, plus important et composé de 22 navires, débarqua à Santo Stefano avec des canons et des obusiers avec lesquels ils commencèrent à bombarder La Maddalena sans s'arrêter, qui de cette position était une cible assez facile. Parmi les Forces françaises se trouvait un certain jeune officier d'artillerie, Napoléon Bonaparte (image), qui commandait alors les batteries françaises. De plus, de leur position, les Français ont empêché les habitants de La Maddalena de recevoir des renforts de Gallura car l'île se trouvait entre La Maddalena et la côte sarde.
Les Français étaient partis de Bonifacio convaincus qu'ils reviendraient facilement vainqueurs, grâce aux informations reçues et à la réalisation d'unaction rapide et indolore. La frégate a été placée pour soutenir l'action française Fauvette, avec pour tâche de bombarder le flanc des défenseurs.
La réponse des Magdalenini
Deux jours après l'attaque, les munitions des défenseurs commencèrent à s'épuiser dangereusement, mais la nature indomptable des habitants de la Maddalena ne céda pas aux pressions bruyantes des transalpins. Le commandant de la place de La Maddalena détache alors un groupe de braves, sous les ordres de passeurii Domenico Milleire, qui avec un canon doit faire taire l'artillerie du navire ennemi. Ce qui arrive grâce à la précision de leur tir, qui oblige les transalpins à se réfugier derrière l'île de Santo Stefano.
À ce stade, le Millelire sait que La Maddalena ne pourra plus résister longtemps et, compte tenu de la gravité de la situation et du martèlement continu et précis des batteries ennemies, il prend l'initiative et, après avoir fait arriver d'autres canons de la place centrale , il décide de passer à la contre-attaque contre les forces françaises, décidément supérieures et attestées sur de meilleures positions.
Malgré la vigilance de l'ennemi, avec une action nocturne audacieuse et sur des véhicules à capacité limitée, il traverse le bras de mer qui sépare La Maddalena de la côte de la Gallura et place deux petites batteries de canons dans des positions telles qu'elles puissent frapper l'artillerie commandée par Napoléon de dos et l'anse où mouillaient les navires adverses.
Ainsi, alors que les Français avaient l'intention de bombarder La Maddalena, le 24 février 1793, le groupe dirigé par Domenico Millelire se mit soudain à frapper les Français, qui se retrouvèrent d'assiégeants en assiégés.
Une fois de plus le tir précis des troupes de La Maddalena stationnées sur les côtes sardes eut pour effet de bouleverser les dispositifs ennemis, les jetant dans la confusion. Les Français se retrouvent donc en position difficile, sous les bombardements ennemis de La Maddalena et des côtes derrière eux et sans possibilité de faire bon usage des navires, bloqués en rade par la canonnade mortelle de La Maddalena organisée par Millelire.
Comme le souligne toujours Giovanna Sotgiuiii, « …le manque de discipline et de préparation militaire des volontaires (français, ndlr) l'a emporté sur toute autre considération, dignité et devoir et… ils ont forcé le retrait. Napoléon, qui voyait la victoire proche... objecta et tenta de résister, mais le désordre et l'anarchie prédominaient désormais obligeant tout le monde à reculer ou, si l'on préfère, à une fuite déshonorante et désordonnée..." laissant également une partie de l'armement sur l'île en raison de la hâte des Français à échapper à ce qui était maintenant devenu un piège mortel. Napoléon a juré de revenir pour terminer le travail, mais l'histoire nous apprend que les choses se sont passées très différemment.
La légende nous a légué un Milleire qui, non content de la fuite précipitée des agresseurs, s'embarque sur une canonnière et poursuit le convoi ennemi presque jusqu'en Corse dans sa fuite désordonnée.
Domenico Millelire a été acclamé comme un héros qui, avec quelques autres hommes courageux, avait mené des actions d'une audace incontestable, assumant le fardeau de mener à bien des initiatives personnelles risquées qui avaient conduit à la victoire, sauvant l'indépendance de l'archipel et, probablement, toute la Sardaigne.
Humble barreur, grâce à son courage et sa débrouillardise, il a réussi à colmater une fuite dans le système de défense de La Maddalena et à encercler l'agresseur, le mettant en sérieuse difficulté. Sa bravoure fut dûment récompensée par de nombreuses promotions, devenant plus tard également commandant du port de La Maddalena, poste prestigieux qu'il put assumer avec dignité et compétence. Il est historiquement considéré comme la première médaille d'or pour la bravoure militaire des forces armées italiennes.
Les conséquences géopolitiques
L'échec des attaques françaises, qui s'avèrent tout sauf rapides et faciles, a eu un effet positif sur le moral des équipages du Savoy et de La Maddalena et a permis d'influencer le cours de l'histoire, tant en ce qui concerne la lutte contre les Les pirates barbaresques et la collaboration avec la marine de sa majesté britannique.
La lutte contre les pirates, en effet, reprit de la force et, dans une bataille épique, deux bateaux barbaresques furent coulés et les ennemis survivants capturés. En un mot, la vaillance et la combativité des marins de la Maddalena ont suggéré que les pirates restent à partir de ce moment à une distance respectueuse de l'archipel et des côtes nord de la Sardaigne.
Mais un autre problème pointait à l'horizon. L'arrivée au pouvoir de Napoléon en France lui a permis de tenir la promesse faite lors de son évasion désordonnée de Santo Stefano. Sur le continent, les affrontements entre Français et Savoyards voient ces derniers perdre du terrain et, par conséquent, les habitants de La Maddalena s'attendent à tout moment à une attaque. A cela s'ajoutent les dégâts causés par les corsaires français, qui empêchent le libre-échange sur ces eaux. Bref, tout contribuait à un rapprochement plus poussé avec les Britanniques, à la fois pour assurer à l'archipel une sorte de protection officieuse et pour assurer la poursuite du trafic marchand, indispensable à la subsistance de la population.
C'est ainsi que la flotte de l'amiral Nelson, arrivée en Méditerranée pour contrer celle des Français, fit de l'archipel de La Maddalena une base privilégiée pour le repos des équipages et pour son ravitaillement, entre une poursuite de la flotte bonapartiste et la suivante. En effet, entre octobre 1803 et janvier 1805, la flotte anglaise s'arrêta huit fois dans les eaux calmes et sûres de la baie de La Maddalena, d'où il était plus commode de surveiller la flotte française, ancrée dans le port de Toulon. L'archipel, en effet, n'était qu'à 24 heures de navigation de l'important port français, ce qui permettait aux Britanniques de contrôler et d'étudier facilement les mouvements des transalpins, permettant aux équipages de se reposer et de s'approvisionner en nourriture fraîche.
Même si le célèbre amiral anglais ne débarqua jamais, il entretint d'excellentes relations avec les autorités de la Madeleine et, en particulier, avec Agostino Millelire (le frère aîné de Dominic), qui fut souvent son hôte à bord du La victoire. En remerciement de l'hospitalité reçue le 18 octobre 1804, au terme de l'avant-dernière de ses huit escales dans l'archipel, Nelson lui offrit un ensemble d'autel (deux chandeliers et un crucifix en argent). Le cadeau était accompagné d'une lettre autographiée conservée, avec l'équipement de l'autel, au Musée diocésain de La Maddalena. La lettre de réponse des Magdalenini est maintenant conservée au British Museum.
pensées finales
L'intervention française de 1793 est l'exemple classique de la manière dont les opérations militaires qui, dans l'esprit des planificateurs, devaient se dérouler de manière simple, rapide et victorieuse, deviennent au contraire un cauchemar pour l'agresseur, lorsque la volonté, la détermination et la capacité des ceux qui se défendent, même en infériorité numérique et en infériorité numérique.
L'action courageuse de Domenico Millelire a empêché la conquête de la mer Tyrrhénienne par les Français qui, avec le contrôle de cette zone, auraient privé la flotte britannique d'un port d'appui confortable et sûr, très proche des eaux/ports français et de la zone d'opérations . Cela a permis à Nelson d'éviter les ports éloignés de Toulon, ce qui aurait occupé les équipages de Sa Majesté. Sans ces périodes de repos et sans cales remplies de nourriture fraîche (en particulier les légumes car le scorbut a toujours été la plus grande menace pour les équipages), presque certainement les Britanniques (bien qu'en infériorité numérique)iv ils n'auraient pas combattu à Trafalgar avec la même détermination et le même élan et, peut-être, n'auraient-ils pas battu Villeneuve, clôturant victorieusement le duel avec les Français pour le contrôle des océans, qui aurait duré incontesté jusqu'à la Première Guerre mondiale.
Mais l'action de la Millelire fut possible grâce au lien fort qui s'était établi entre les équipages de la marine savoyarde et la population de l'île, certainement favorisée par la présence de nombreux Magdalenini sur les navires du roi. Aujourd'hui, ce lien qui unit les habitants de la Maddalena à la Marine est toujours vivant et se concrétise dans la formation de jeunes timoniers au École sans commission de la Marine, qui est basé à La Maddalena (lire l'article "Mariscuola La Maddalena, entre tradition et innovation").
Domenico Millelire a maintenu son humilité dans les années qui ont suivi son exploit et ne s'est jamais considéré comme un héros, malgré les reconnaissances qu'il a reçues, y compris la nomination au chevalier de l'ordre militaire de Savoie, entrant dans l'histoire comme le timonier qui a vaincu Napoléon.
i Giovanna Sotgiu, Histoire de La Maddalena et de son archipel, Paolo Sorba Editore, 2022, p. 79
ii C'est un terme utilisé pour indiquer qui est en charge du gouvernement et des services à bord d'un navire. Il est affecté au service de timonier, à lever l'ancre ou aux manœuvres des treuils ou de la grue. C'est aussi un élément fondamental de l'équipement des bateaux à moteur (maître et archers).
iii Giovanna Sotgiu a enseigné dans les lycées de La Maddalena et est membre fondateur de Co.Ri.S.Ma.
iv La flotte de Sa Majesté britannique se composait de 33 unités pour un total de 2.136 40 canons. La flotte alliée (France et Espagne) a déployé 2.894 unités pour un total de XNUMX XNUMX canons.
Photo: web